lundi 13 octobre 2014

Andy Polaine, Lavrans Løvlie & Ben Reason, “Service Design From Insight to Implementation”, Rosenfeld, 2013. (3)

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Nous continuons avec le troisième chapitre de ce livre sur le “Service Design”. Ce chapitre 3 qui s’intitule “Understanding People and Relationships”.

Que retenir de ce chapitre 3 ? Voilà ce que j’ai pu noter comme idées :

  • Un service n’a de valeur intrinsèque qu’à partir du moment où il est “utilisé” ou “consommé”, vu que le service ou l’expérience d’un service ne peut pas être stocké dans un magasin.
  • Les mots utiliséetconsommé” sont des reliques de l’ère de la production industrielle, de l’ère de la toute puissance des produits. Il faut un langage différent pour les services. Pour exemple, les personnes n’utilisent pas la santé… On ne consomme pas une suite d’hôtel.
  • Les personnes entrent en relation avec les professionnels et les fournisseurs de services…et leurs interactions sont des actes de co-production de l’expérience de service.
  • On a ainsi besoin de penser en terme de design pour les relations et l’expérience qui peuvent évoluer et changer au fil du temps, au lieu des courts moments de consommation ou d’usage.
  • Ainsi, les services portent sur l’interaction de personnes, de technologies et de processus.
  • Dans plusieurs entreprises ainsi que certains fournisseurs de services, l’industrialisation a donné en héritage un mode de pensée et d’action qui privilégie l’efficience, le rendement et les économies d’échelle plutôt que l’efficacité du service délivré.
  • Il faut non seulement comprendre les personnes mais aussi les relations qu’elles ont avec d’autres personnes pour comprendre aussi comment les services fonctionnent.
  • Pour mettre les personnes au cœur des services, nous devons connaitre vraiment qui ils sont.
  • Les statistiques font un constat d’une situation mais la plupart du temps n’expliquent pas le “pourquoi”. Les statistiques peuvent faire un constat que 70% de personnes interrogées aiment prendre le bus que le métro au retour de leur boulot. Par contre, le designer de services a besoin des raisons sous-jacentes pour améliorer le service. Il veut comprendre les personnes, leur vécu quotidien et leurs besoins. Il veut non seulement comprendre pourquoi les 70% choisissent le bus mais aussi pourquoi les 30% restants choisissent le métro.
  • Pour terminer, les designers doivent comprendre les relations parmi toutes les personnes impliquées dans un service, et reconnaitre que les opportunités existent pour les améliorer ou pour innover.
  • Le design de service pour les personnes implique de comprendre leur besoins, leurs motivations, leurs comportements. C’est pour cela que les designers ont souvent recours à l’ethnographie et à la recherche qualitative plutôt que quantitative pour atteindre ce but.
  • Il est important de rechercher les activités et les interactions des personnes à travers tous les points de contacts du service, de segmenter leurs journées à travers le service, de voir les différentes étapes de leur relation avec le service.
  • La valeur d’un service est liée à la qualité des relations entre les fournisseurs et les clients, ainsi que du réseaux de relations entre les personnes internes et externes à l’entreprise qui offre le service.

Voilà en bref ce que j’ai retenu de ce chapitre 3. La relation est plus importante que la vente.

vendredi 10 octobre 2014

Andy Polaine, Lavrans Løvlie & Ben Reason, “Service Design From Insight to Implementation”, Rosenfeld, 2013. (2)

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Nous continuons avec le deuxième chapitre de ce livre sur le “Service Design”.

L’ambition de ce deuxième chapitre est :

  • de présenter l’histoire ayant conduit au développement du “service design”,
  • d’examiner le passage dans les pays développés d’une économie centrée sur les produits à une économie centrée sur les services,
  • d’expliquer pourquoi les services ont besoin du design,
  • de développer une taxonomie des services.

Avant d’y arriver, présentons le résumé de ce chapitre par les auteurs. Ce chapitre 2 qui s’intitule “The Nature of Service Design” est résumé par les auteurs en trois (3) points :

  1. On est passé, dans les économies des pays développés, de l’âge de la production industrielle à l’âge des services. Seulement, ce passage ne s’est pas opéré dans les têtes, dans les esprits. Les entreprises qui offrent des services le font avec les méthodes et les moyens éprouvés lorsque les produits dominaient l’économie.
  2. L’approche managériale la plus répandue est de diviser l’entreprise en départements ou en services, des silos d’activités. Ce qui fait que chaque département se bat pour jouer pleinement et efficacement sa partition dans l’offre de service au client. Seulement, la cohérence d’ensemble n’est pas abordée pour ce service alors que le client juge la cohérence.
  3. Plusieurs entreprises sont organisées d’une façon qui ne leur permettent pas de délivrer une meilleure expérience de service aux clients. C’est un peu la conséquence des deux points précédents. Le challenge pour ces entreprises est de concevoir à nouveau non seulement le service mais aussi la culture de l’entreprise.

Pour revenir à l’ambition de ce chapitre et tracer comment les auteurs abordent chaque élément, prenons point par point :

COMMENT S’EST DEVELOPPE LE SERVICE DESIGN ?

La plupart des services n’existent que le moment de leur consommation. De plus, il y a plusieurs services qui sont considérés comme donné, donc personne n’y pense, comme l’électricité ou l’eau. Ce n’est que lorsqu’une panne survient et qu’on n’a plus d’eau ou d’électricité qu’on se rappelle que cela n’est pas donné. Le fait que les services soient “invisibles” a soutenu le désintérêt pour leur design.

On trace les débuts du design industriel ou design des produits dans les années 1920. La mission de cette discipline était d’améliorer le niveau de vie des populations en travaillant la qualité et l’ergonomie des produits proposés. On est au début de l’industrialisation et les designers explorent toutes les voies permettant de créer des produits qui puissent satisfaire les besoins fondamentaux des personnes. Cette trajectoire est couverte par les deux guerres mais elle est vite reprise avec la reconstruction et l’émergence d’une classe moyenne qui aspire au bien-être et a soif de consommation. Seulement, avec la stabilisation des classes moyennes, leur souci n’est plus l’élévation du niveau de vie mais aussi la qualité de vie.

Ainsi, les personnes veulent un services qui leur apportent une réelle valeur. L’ambition du “service design” est de rendre ce qui est “invisible” visible. Que les personnes puissent percevoir et apprécier cette valeur apportée par le service.

LE PASSAGE D’UNE ECONOMIE DE “PRODUITS” A UNE ECONOMIE DE “SERVICES”

Dans les économies des pays développés aujourd’hui, le secteur des services concentre à lui seul près de 75% de l’économie. Ces chiffres avancés par les auteurs peuvent déteindre en débats entre experts sur les méthodes de mesure ou le contenu sur ce qu’on entend par “services” mais on ne peut contester cette tendance qui ne cesse de progresser. C’est pourquoi le design des services peut être un avantage compétitif clé. De plus, il plus facile de copier un produit que de copier une expérience de service. La fidélité d’un client qui apprécie un service bien rendu est garanti tant que ce service maintiendra sa valeur. Il faut aussi noter que ce passage a été facilité par les opportunités offertes lorsqu’on passe d’un business model axé sur un produit à un business model basé sur un service. Prenons l’exemple avec les sociétés de location automobile qui propose des services de mobilité. Elles ne vendent pas le véhicule mais le temps d’utilisation du véhicule et le kilométrage parcouru…etc.

POURQUOI LES SERVICES ONT BESOIN DU DESIGN ?

Pour mieux comprendre pourquoi les services ont besoin du design, il faut étudier la nature des services et la façon dont ils sont délivrés aux clients. On définit la plupart du temps le service en opposition au produit. On dira que les produits sont des objets discrets et visibles. Ce qui n’est pas le cas des services. Une caractéristique fondamentale du service est qu’il crée de la valeur seulement lorsqu’on l’utilise. Le distributeur automatique de billets (DAB) n’a de valeur que si les personnes se dirigent vers lui pour l’utiliser. Un service n’a de valeur qu’au contact avec une personne, c’est pour cela que les auteurs affirment que les services sont co-produits par les personnes qui l’utilisent. Donc lorsqu’on parle de services, il faut penser aux interactions avec des personnes, et les motivations et comportements qui vont avec. De plus, les auteurs rappellent que la prestation de services à l’heure actuelle repose le plus souvent sur des plateformes numériques. Qu’on pense à la réservation des billets qui se fait de plus en plus en ligne, la banque en ligne, l’achat en lignes…Plusieurs services reposent, pour leur livraison, sur le développement des technologies de l’information et de la communication (TIC). Avec les réseaux et les personnes, il se crée une complexité de liens qui pose autant d’opportunités et de problèmes pour les entreprises qui, pour avoir une excellente qualité de service, explique pourquoi le “service design” a émergé.

UNE TAXONOMIE DES SERVICES ?

On ne peut mieux comprendre les services et ce qui les différencie des produits sans examiner ce que les personnes obtiennent des services. Ce qui amène les auteurs à définir trois valeurs centrales pour les services : soin, accès, et réponse. Ces valeurs permettent de cataloguer chaque service et les grouper suivant leur relation avec ces valeurs. Plusieurs services délivrent au moins une seule de ces valeurs, le plus souvent un mix des trois. On a ainsi :

  • des services qui prennent soin des personnes ou des choses : à l’exemple de tels services, on peut prendre soin d’un objet comme la voiture (lavage pour la propreté, tracking pour la sécurité,..etc), on peut prendre soin d’une personne avec la santé, la coiffure, une garderie,…etc. De même, on peut prendre soin de votre argent avec les services comme la comptabilité, le conseil fiscal et autres.
  • des services qui donnent accès aux personnes ou aux choses : On peut citer des services qui donnent accès à certaines choses qu’on ne peut pas avoir soi-même et dans ce cas là, on pense à la location d’une voiture, d’un appartement. Ou encore à l’accès à l’eau, à l’électricité. La plupart de ces services sont adossés à des infrastructures qui demandent des investissements lourds.
  • des services qui offrent une réponse aux personnes ou aux choses : Ici, ce sont des services qui répondent aux besoins des personnes. C’est l’enseignant qui donne des cours de répétition, l’ambulance qui est sollicitée lors d’un accident. Ce sont des services créés en réaction à une requête. Certains services ici sont “anticipées” comme les services d’assurance à un sinistre ou l’assurance sociale. Puisqu’on connait déjà la “réponse” aux besoins de personnes en situation de sinistre, on propose un package de services à ces personnes pour garantir la réponse attendue, à savoir la couverture du sinistre.

La typologie ainsi établie n’est pas étanche. Un même service peut contenir ces 3 valeurs à la fois. Un service de location automobile contient la valeur “accès” mais peut aussi avoir la valeur “soin” avec le lavage en option, le tracking en option. On peut même y ajouter la valeur “réponse” avec différents niveaux d’assurance en option.

Les auteurs terminent ce chapitre en abordant la question de la performance d’un service. Ils définissent la performance d’un service comme la façon dont un service est délivré. Ainsi, on a la performance comme expérience qui est fonction de la façon dont le service est délivré. Ici, le client apprécie le service avec des qualificatifs comme “bon”, “meilleur” et autres. On a aussi la performance comme valeur où il s’agit de réaliser les promesses tenues aux clients. Ici, c’est la capacité de l’entreprise qui est en jeu. Une entreprise mal organisée ne tiendra pas ses promesses.

Seulement, dans la mesure où des services sont souvent adossés à des infrastructures aux investissements lourds et difficiles à récupérer, le design des services doit s’effectuer avec professionnalisme. La sagesse recommande de commencer par comprendre ceux à qui les services sont destinés, à savoir les personnes. C’est l’objet du troisième chapitre intitulé “Understanding People and Relationships”.

jeudi 9 octobre 2014

Andy Polaine, Lavrans Løvlie & Ben Reason, “Service Design From Insight to Implementation”, Rosenfeld, 2013. (1)

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Ce livre, comme les auteurs le présentent eux-mêmes, est un point de départ et non pas un dogme. Ainsi, l’ambition de ce livre est de présenter dans un langage clair et accessible le “service design”, une discipline que les auteurs pratiquent à travers l’entreprise de conseil qu’ils ont créé, LiveWork, excepté Andy Polaine qui évolue en solo. C’est la raison pour laquelle ce livre est un aller retour entre la théorie et la pratique.
Mon ambition, comme dans tous les billets que je publierais les jours suivants, est de transcrire chaque jour un compte rendu de chaque chapitre lu de ce livre. Et cela ne se limitera pas à ce livre. Cette manière de faire sera une routine pour ce blog : un chapitre d’un livre par jour. Nous allons ainsi commencer par ce livre avec le chapitre 1.
Il faut d’entrée dire que le chapitre 1 de ce livre traduit bien la méthode d’aller retour entre la théorie et la pratique prônée par les auteurs. En effet, ce chapitre intitulé “Insurance Is a Service, Not a Product” est une mise en contexte de la matière du livre à travers une étude de cas, celui de l’une des plus grandes sociétés d’assurance norvégiennes, Gjensidige. Cette étude de cas permet aux lecteurs d’avoir une idée sur le “service design”.
Pour résumer cette étude de cas, les dirigeants de Gjensidige ont tout simplement constaté que la compétition pour les produits d’assurance se jouait uniquement sur les prix pour la simple raison que les clients ne comprenaient pas du tout les politiques complexes imposées par les compagnies d’assurance, à l’exemple des contrats d’assurance volumineux mis à leur disposition qui, au delà de leur longueur, emploient un jargon propre au métier de l’assureur. A cette complexité, il faut ajouter l’apparition de sites comparatifs en ligne qui n’axent le choix des consommateurs que sur une seule variable : le prix.
Les dirigeants de Gjensidige partant du constat suivant lequel…
  • Les gens jugent l’assurance et tout ce qui va avec peu transparent, surtout sur la qualité du service. Ce qui fait qu’il est plus facile pour ces personnes de faire une comparaison uniquement sur le prix puisque c’est la seule variable fixe et mesurable. La qualité est difficilement mesurable en assurance.
… ont pris la ferme résolution de :
  • développer une proposition de service qui puisse éliminer le prix comme facteur clé de décision d’un potentiel client.
Cette situation est similaire à celle que vous avez peut-être vécu lorsque vous prenez un crédit à la banque. Quelque soit le langage, le ton assuré et rassurant tenu par le conseiller clientèle, vous avez toujours cette impression qu’une entourloupe est cachée et que vous verrez le sale coup une fois le contrat signé. Lorsque le client n’a pas de visibilité sur tous les aspects de la relation avec l’entreprise, il ne peut s’accrocher que sur ce qui est visible et transparent : le prix. C’est cela que ces dirigeants voulaient éviter en recourant au “service design”.
C’est ainsi à quoi s’attèle le premier chapitre : présenter tout le processus mis en place par Gjensidige pour éliminer le prix comme principal facteur de décision. Ce processus en décliné en plusieurs étapes, qui ne sont pas forcément linéaires :
  • La recherche d’idées (insights research)
  • Les ateliers (workshops)
  • La conception du service (service blueprinting)
  • Le développement de la proposition de service (service proposition development)
  • Les maquettes et présentations du concept (concept sketches and presentations)
  • Le prototypage de l’expérience (experience prototyping)
  • Le Test et la livraison (test and delivery)
Ce sont ces différentes étapes qui sont présentées tout au long de ce livre. Atteindre cet objectif d’élimination du prix comme facteur de décision pour Gjensidige a nécessité une série d’initiatives bien relatée dans ce premier chapitre comme :
  • La mise en place d’un programme de changement de l’entreprise appelé “Extreme Customer Orientation”. Ce programme nait du constat que l’entreprise est organisée en silos d’activités, ce qu’on appelle communément des départements ou services qui collaborent peu. Chaque responsable de service ou département coordonnant les activités de son service. Or, il se trouve que ce mode d’organisation, propre à l’entreprise industrielle classique, est moins propice à une meilleure qualité de service. Fournir un service de qualité implique que tous les départements collaborent. C’est ce qui a motivé la création de ce programme pour faire évoluer l’entreprise en éliminant les frontières entre départements.
  •  Gjensidige a employé les “service designers” pour confronter les réflexions du groupe de travail de l’entreprise avec ces designers. A cet effet, du travail a été effectué pour collecter des idées sur les clients, notamment sur leurs critères de comparaison et d’achat, sur leurs attentes, sur la confiance (comment gagner la confiance du client ?), sur le choix (ou le processus de choix du client), sur les documents remis aux clients (une particularité du secteur de l’assurance compte tenu du volume de documents remis aux clients), sur les interactions culturelles et sociales puisque certains éléments non visibles peuvent impacter la clientèle. Ensuite, un autre travail a été effectué pour collecter des idées dans l’entreprise afin d’y ressortir les meilleures pratiques qui pouvaient être banales au quotidien, mais apporter quelque chose de novateur une fois adopté officiellement, une fois institutionnalisé. Si on voulait orienter l’entreprise vers le client, il fallait que l’entreprise adapte son langage au client, fasse attention à tous les canaux de communication, formalise les meilleures pratiques de certains employés réputés pour leur excellente relation clientèle,…etc. Enfin, Une fois toutes ces idées collectées, les mettre en place, passer des idées à la pratique. Ce sont ces idées qui permettent la conception du service et le développement de la proposition de service.
  • Pour passer à la pratique, l’équipe projet de Gjensidige a établi des prototypes pour tous les points de contact du service, comme le contrat d’une page, les brochures d’information, ou le site web et autres, pour permettre aux clients, au staff de l’entreprise ainsi qu’aux dirigeants de tester le service ou du moins les inconnus. C’est le feedback de ce test qui permettra d’améliorer la conception et la proposition de service.
Vous pourrez retrouver avec plus de détail cet étude de cas très complète. On peut dire que ce premier chapitre n’est qu’une mise en contexte et peut désorienter plus d’un comme moi même je l’ai été. Comme toujours, on s’attend toujours dans le premier chapitre à une définition de l’objet du livre et non à une étude de cas. On respectera l’approche des auteurs et c’est la raison pour laquelle, étant sur ma faim, je suis passé au deuxième chapitre “The Nature of Service Design” pour en savoir plus. Nous l’aborderons ainsi dans le prochain billet.